L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique by Benjamin

L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique by Benjamin

Auteur:Benjamin
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Payot
Publié: 2013-03-14T16:00:00+00:00


1. Nous savons grâce à Pierre Missac, qui connut Benjamin personnellement, que le philosophe n’avait qu’une connaissance partielle de l’œuvre d’Atget, puisque bon nombre de photographies de rues parisiennes prises par ce dernier comprennent, en fait, au moins un personnage. Voir Pierre Missac, Passage de Walter Benjamin, op. cit., p. 101-102 et p. 132. (N.d.T.)

VII

La querelle qui a prospéré, au cours du XIXe siècle, entre la peinture et la photographie quant à la valeur artistique respective de leurs productions, paraît aujourd’hui aberrante et confuse. Mais un tel constat ne plaide pas en défaveur de son importance et, au contraire, pourrait plutôt la souligner. Cette querelle était effectivement la manifestation d’un bouleversement historique à l’échelle mondiale qui, en tant que tel, n’était consciemment compris par aucune des deux protagonistes. L’époque de sa reproductibilité technique privant l’art de son fondement cultuel, l’apparence de son autonomie s’évanouit à jamais. Mais le changement de fonction de l’art qui en découlait ne fut pas aperçu par le siècle. Et il échappa longtemps aussi au XXe siècle, qui vit le déploiement du cinéma.

Comme l’on avait rivalisé en vaine sagacité afin de décider si la photographie était un art – sans se demander d’abord si la nature entière de l’art ne s’était pas transformée avec l’invention de la photographie –, les théoriciens du cinéma se posèrent bientôt, à son sujet, les mêmes questions prématurées. Mais les difficultés que la photographie avait causées à l’esthétique traditionnelle étaient un jeu d’enfant comparées à celles qui l’attendaient avec le cinéma. D’où la violence aveugle qui caractérise les débuts de la théorie du film. Abel Gance, par exemple, compare de cette façon le film aux hiéroglyphes : « Nous voilà, par un prodigieux retour en arrière, revenus sur le plan d’expression des Égyptiens. […] Le langage des images n’est pas encore au point parce que nos yeux ne sont pas encore faits pour elles. Il n’y a pas encore assez de respect, de culte, pour ce qu’elles expriment1. » Séverin-Mars, quant à lui, écrit : « Quel art eut un rêve […], plus poétique à la fois et plus réel ? Considéré ainsi, le cinématographe deviendrait un moyen d’expression tout à fait exceptionnel, et dans son atmosphère ne devraient se mouvoir que des personnages de la pensée la plus supérieure aux moments les plus parfaits et les plus mystérieux de leur course2. » Alexandre Arnoux, de son côté, termine une libre digression sur le cinéma muet en posant tout simplement la question : « En somme, tous les termes hasardeux que nous venons d’employer ne définissent-ils pas la prière3 ? » Il est très instructif d’observer combien ces théoriciens s’efforcent d’attribuer au cinéma le terme d’art, et combien cet effort les oblige à y déceler, avec une désinvolture sans pareille, des éléments cultuels. Et pourtant, à l’époque où ces spéculations étaient publiées, des œuvres comme L’Opinion publique et La Ruée vers l’or étaient déjà visibles4. Cela n’empêche pas Abel Gance d’élaborer la comparaison avec les hiéroglyphes, ni Séverin-Mars de parler du cinéma comme on pourrait parler des peintures de Fra Angelico.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.